9

 

— Simus !

Je me jetai dans ses bras, dans lesquels il m’enferma pour une étreinte d’ours. Son rire roulait comme le tonnerre et mon cœur bondissait de joie. Je lui fis écho lorsqu’il me souleva de terre sans effort pour me faire tourbillonner autour de lui.

Quand il me reposa doucement sur mes pieds, je me rendis compte que mes quatre gardes du corps nous entouraient. Amyu se trouvait là également. Tout ce petit monde parlait en même temps et gesticulait, mais cela ne gênait en rien Simus.

Les yeux brillants, il posa ses mains sur mes épaules et m’observa attentivement avant de me demander :

— Tu vas bien ?

— Aussi bien que possible, répondis-je en lui souriant. Je suis si heureuse de te revoir !

Apparemment rassuré, il hocha la tête. Puis, ses épais sourcils froncés, il fit volte-face pour affronter la meute de mes protecteurs.

— Silence ! hurla-t-il.

Tous obtempérèrent d’un coup, comme frappés de stupeur.

— La Captive est ma guérisseuse, annonça-t-il, utilisant le mot xyian. Je dois lui montrer la blessure qu’elle a soignée. Dehors, tous autant que vous êtes ! Cela doit se faire sous le couvert des grelots.

Les prêtres guerriers échangèrent des regards indécis. Le plus jeune d’entre eux dansait d’un pied sur l’autre. Ce fut Amyu qui se décida à parler la première.

— Nos ordres stipulent que Xylara ne doit avoir aucun contact avec Keir du Tigre ou l’un de ses partisans.

— Bah ! grogna Simus en balayant l’argument d’un revers de main. Vous pouvez écouter ce que nous disons, si vous le voulez. Je n’utiliserai pas les grelots. Mais à présent, vous allez sortir. Tout de suite !

Abandonnant le terrain, ils s’égaillèrent comme une volée de moineaux. Satisfait, Simus alla s’asseoir sur l’un des tabourets et m’adressa un sourire béat. L’espace d’un instant, je ne pus rien faire d’autre que lui rendre ce sourire.

— Simus de l’Aigle, ce n’était pas très diplomate, lui dis-je enfin.

— C’est de leur faute, répondit-il dans un parfait xyian. On n’envoie pas un gamin faire le travail d’un homme. Et je n’y peux rien s’ils ne savent pas comment s’y prendre avec moi. Mais ils ne vont pas tarder à faire leur rapport à quelqu’un qui saura, lui, me mettre dehors. Alors, ne perdons pas de temps.

Il se redressa et entreprit de déboucler sa ceinture.

— Je vais te montrer ma cicatrice, dit-il ce faisant. Tu ne vas pas en revenir, petite guérisseuse. C’est une merveille !

Cette fois, il s’était exprimé en firelandais, assez fort pour qu’on puisse l’entendre de l’extérieur. Me prêtant au jeu, je répondis en m’efforçant de garder mon sérieux :

— Voyons ça… Dois-je sortir mes instruments ?

— Bien sûr, par tous les Éléments ! s’exclama-t-il d’une voix sonore. Il me tardait de pouvoir encore profiter de tes merveilleuses herbes et potions !

Simus se pencha, baissa son pantalon puis se rassit.

— Eln pense que la plaie n’aurait pu mieux se refermer, ajouta-t-il. Il m’a demandé de te le dire.

Après être allée chercher ma sacoche, je le rejoignis pour admirer la cicatrice qui courait le long de sa jambe.

— T’a-t-elle fait souffrir durant le voyage ? m’enquis-je en l’examinant de plus près.

— Pas du tout !

Passant au xyian, il ajouta :

— Et nous ne nous sommes pourtant pas ménagés, car nous voulions arriver ici le plus vite possible. Le Conseil a envoyé à Fort-Cascade un messager réclamant qu’Atira vienne énoncer ses vérités devant lui. Je savais que toi et ton aimé auriez besoin de moi. Et maintenant, nous voici tous ici !

— Nous ?

Je partis à la recherche d’un pot d’onguent dans ma sacoche. Parler de nouveau ma langue natale me déstabilisait tant que je devais chercher mes mots.

— Nous ! répondit Simus. Atira, Keir, Marcus et Joden. Ainsi que quelqu’un de chez toi – le fils de la cuisinière.

— La jambe d’Atira s’est-elle bien remise ? demandai-je.

Puis, réalisant ce qu’il venait de m’annoncer, je redressai vivement la tête.

— Heath ? Heath est ici ?

— Oui, il nous a suivis, répondit Simus en xyian.

Il marqua une pause, puis éleva la voix en changeant de langue.

— Cet ami d’enfance, Heath de Xy, t’apporte quelques messages de chez toi. Je te l’enverrai, si ces imbéciles veulent bien le laisser passer.

Avec un sourire rusé, il repassa au xyian et ajouta :

— Je le chargerai d’autres messages. Keir est furieux comme un ehat blessé de ne pouvoir te voir. Nous avons toutes les peines du monde, Marcus et moi, avec l’aide de Keekaï, à faire entrer un peu de bon sens sous son crâne.

Cela me fit sourire. Simus étendit la jambe devant lui, pour me permettre un meilleur accès à sa cicatrice.

— Je sais à présent à quoi ressemble un ehat, dis-je.

Simus se mit à rire et revint à sa propre langue pour s’exclamer :

— Je veux que tu me racontes tout de cette chasse ! Tous les détails ! Maintenant !

Reprenant brusquement son sérieux, il passa au xyian.

— Tu dois être prudente, Lara. Le danger est partout.

— Je le sais. Nous avons subi une attaque en venant ici.

Simus soupira longuement.

— Nous l’avons appris. Mais nous ignorons toujours qui s’est permis de s’en prendre à toi. Heureusement, tu es ici en sécurité.

— Vraiment ? m’étonnai-je en xyian. Amyu est de la tribu du Cochon, comme Iften. Et mes gardes du corps sont tous des prêtres guerriers.

— De ta sécurité dépend l’honneur de tout le Conseil, assura-t-il gravement. Amyu n’est qu’une enfant et ne fera rien qui pourrait déplaire aux Anciens. Quant à tes gardes, ils feront tout pour te protéger. Mais si tu essaies de rencontrer Keir, ils n’hésiteront pas à en rendre compte à leurs supérieurs. Tu en es bien consciente ?

J’acquiesçai d’un hochement de tête.

— Prends garde à Iften, reprit Simus. Et à Graine de Tempête. Celui-ci, il ne faut lui faire aucune confiance. Surtout qu’il a une dent contre toi depuis que tu lui as lancé un pot de chou-putois à la figure…

Tournant la tête vers l’extérieur, il lança en finlandais, la main en porte-voix :

— Tu as vraiment fait des merveilles, Captive ! Ma jambe est comme neuve…

Suivant son exemple, je demandai en forçant la voix :

— Est-ce encore douloureux ?

Doucement, je commençai à masser la cicatrice avec l’onguent qui allait me permettre de l’atténuer.

— Plus du tout ! s’émerveilla-t-il. Petite guérisseuse, tu as sauvé ma jambe et tu m’as permis de demeurer un fier guerrier des Tribus. Puissent les Éléments faire en sorte que je te rende un jour la pareille !

Je lui souris, mais me rembrunis bien vite en passant à ma propre langue pour ajouter :

— Puisque tu es venu ici avec Joden, tu dois savoir ce qu’il pense de Keir et de moi à présent. À cause de la peste et des ravages qu’elle a faits dans l’armée, nous ne pouvons plus compter sur son soutien.

— Bah ! fit-il avec une grimace. Joden n’a plus toute sa tête. Je vais me charger de la lui rendre.

Se rapprochant de moi, il poursuivit, un ton plus bas :

— L’énonciation des vérités des uns et des autres doit débuter dès demain. Cela m’étonnerait qu’on te permette d’y assister. Mais n’aie crainte, Lara. Tout sera…

Il fut interrompu par l’irruption de Vents Sauvages sous ma tente, Amyu et mes gardes sur ses talons.

Simus se redressa et feignit l’étonnement.

— Vénérable Prêtre Guerrier ! Quelle surprise ! Vous êtes venu voir de quoi est capable la Captive ? Excellente idée ! C’est une guérisseuse hors pair.

Haussant les sourcils, Vents Sauvages s’approcha pour examiner de plus près la jambe de Simus.

— La plaie était-elle profonde ? demanda-t-il.

— Jusqu’à l’os ! répondit fièrement Simus.

Il étendit sa jambe devant lui et la présenta de manière que tous puissent l’examiner, ce dont ils ne se privèrent pas. Amyu, notamment, parut fascinée.

— À quoi sert ceci ?

Vents Sauvages désignait le pot que je tenais à la main. Je me redressai et le lui tendis pour qu’il puisse en observer l’intérieur.

— C’est une pommade qui sert à accélérer la guérison, répondis-je. Elle va permettre d’atténuer la cicatrice.

— Quoi ? protesta Simus. Pourquoi vouloir cacher une blessure honorable et honorablement gagnée ?

Se redressant de toute sa hauteur, Vents Sauvages parut retrouver ses esprits.

— Là n’est pas le problème ! s’emporta-t-il. La Fille du Sang de la Maison de Xy n’est pas autorisée à avoir de contact avec Keir du Tigre ni aucun de ses…

— Nous discutions de ma guérison ! coupa Simus en se rhabillant dignement.

— Ils parlaient par moments dans la langue des citadins, intervint l’un de mes gardes du corps.

— Vous ne la comprenez pas ? s’étonna Simus avec un haussement de sourcils. Cela m’avait échappé.

Tournant le dos aux nouveaux venus, il s’inclina vers moi et me prit la main pour la baiser à la mode xyiane.

— Encore une fois, tous mes remerciements, Xylara.

Je lui répondis d’une brève révérence. Il me fit un clin d’œil, puis pivota sur ses talons et dit à Vents Sauvages :

— Après vous, Vénérable Prêtre Guerrier…

Habilement, il les entraîna tous à l’extérieur, sauf Amyu, qui me jeta un curieux regard en refermant la tente.

Décidée à l’ignorer, je regagnai ma chambre et m’assis sur le lit. Au creux de ma main se trouvait le pain de savon parfumé à la vanille que Simus y avait habilement glissé avant de partir. J’entendais sa voix décroître peu à peu au-dehors tandis qu’il s’éloignait en se disputant avec Vents Sauvages et les autres prêtres guerriers.

Mes yeux fixés sur le savon s’emplirent de larmes. La signification de ce présent était claire : Keir était ici, non loin de moi. Lui seul avait pu remettre ce savon à Simus. Il avait acheté tout son stock à l’herboriste qui avait le monopole, à Fort-Cascade, de la vente de ce produit.

Portant le savon à mon nez, j’inspirai longuement sa douce fragrance. Savoir que Keir n’était pas très loin et qu’il pensait à moi me faisait du bien. Mais je me serais sentie encore mieux s’il avait pu me rejoindre sous cette tente, et pour la nuit au creux de mon lit.

Pour chasser ces vains espoirs, je reportai mon attention sur ce que je venais d’apprendre. Le Conseil avait convoqué Atira pour l’entendre de toute urgence. Il fallait donc que son témoignage ait une importance particulière. Mais j’avais beau me creuser la cervelle, je ne voyais pas de quelle façon j’aurais pu lui mentir, comme Antas m’en avait accusée à plusieurs reprises.

Et Heath ? Que faisait-il ici ? Anna et Othur l’avaient donc laissé partir ? Allaient-ils bien, tous les deux ? Mon cœur se serra. Je refusais d’imaginer qu’il ait pu leur arriver quoi que ce soit. L’autoriserait-on à venir me parler ? Après tout, Heath ne pouvait être considéré comme un partisan de Keir. Il me tardait d’avoir des nouvelles des miens et de mon pays.

Soudain consciente que je n’avais accordé que peu d’attention à mon royaume depuis mon départ de Xy, je me sentis rougir. On ne pouvait pourtant me taxer d’égoïsme. De mon avenir et de celui de Keir dépendaient tant de choses… Mon peuple, aussi bien que le sien, avait tout à gagner à me voir confirmée en tant que Captive du Seigneur de Guerre de la Grande Prairie.

Un toussotement discret se fit entendre.

— Entre ! dis-je en cachant rapidement le savon dans un pli de ma jupe.

Amyu apparut avec un baquet.

— L’eau chaude que vous m’avez demandée, annonça-t-elle en inclinant la tête vers moi.

— Merci.

Elle alla poser son baquet près du brasero et disposa sur le trépied de celui-ci les linges propres qu’elle portait sur le bras. Rattrapée par la fatigue, je me mis à bâiller et songeai qu’il me faudrait veiller à ne pas trop asperger ma chambre en me lavant.

— Est-il vrai que les citadins se baignent sous le couvert des grelots ? me demanda-t-elle d’une voix qui trahissait son trouble.

— Oui, lui répondis-je. Les Xyians sont très pudiques. Mon Seigneur de Guerre, quand je me trouvais près de lui, s’était arrangé pour que je puisse me baigner en privé.

— Pourtant, reprit-elle en fronçant les sourcils, Simus de l’Aigle s’est montré nu devant vous.

— Les guérisseurs doivent pouvoir examiner le corps de leurs patients librement et sans aucune gêne. C’est une exception à la règle.

— Je vais voir ce qu’il est possible de faire pour que vous puissiez vous baigner en privé ici aussi.

Elle se mordit la lèvre, comme si elle hésitait à poser une question qui la taraudait, et finit par se décider.

— Il se dit sur les ailes du vent que vous acceptez de soigner tous ceux qui vous le demandent.

— C’est vrai, reconnus-je de bonne grâce. En devenant maîtresse guérisseuse, j’ai fait le vœu de soigner tous ceux qui en ont besoin.

Après m’avoir dévisagée un long moment, Amyu tourna les talons et sortit précipitamment.

Je renonçai à me lancer derrière elle pour l’encourager à me confier son problème. Je ne pouvais forcer personne à accepter mes services – une leçon que j’avais apprise amèrement avec Iften. Quand elle serait prête, Amyu viendrait se confier à moi. Pour l’heure, je disposais d’un baquet d’eau chaude et d’un pain de savon parfumé à la vanille… Ensuite, le confort de mon lit m’attendait.

Demain serait un autre jour et arriverait bien assez vite, décidai-je. Avec l’espoir qu’il me permettrait d’avoir ne serait-ce qu’un aperçu de Keir, j’entrepris de me dévêtir.

 

Je m’éveillai un peu avant l’aube, les yeux encore lourds de sommeil. Dans la chaleur de mon lit, machinalement, ma main partit à la recherche d’une peau familière.

Mais Keir n’était pas là.

La déception acheva de me réveiller. Clignant des paupières, j’ouvris les yeux dans l’obscurité. Avant de m’endormir, j’avais éteint la mèche de ma charmante petite lampe de chevet. Il ne restait pour éclairer ma chambre que le discret rougeoiement du brasero. Sous la tente de Keir, c’était la source de lumière et de chaleur à laquelle j’avais fini par m’habituer.

Soudain, un sentiment de profonde solitude me submergea, et avant que j’aie pu faire quoi que ce soit pour m’en protéger, le manque né de l’absence de Keir se logea dans ma poitrine. J’étouffai un sanglot sous ma main – je ne tenais pas à ce que mes gardes du corps ou Amyu puissent deviner ma faiblesse.

Coinçant quelques coussins dans mon dos et une couverture sous mes bras, je m’assis dans le lit. Les bruits auxquels j’avais fini par m’accoutumer au réveil – ceux d’une armée en campagne – avaient disparu eux aussi. Seuls se faisaient entendre les oriflammes claquant au vent et, de temps à autre, de rares bruits de pas.

En soupirant, je passai les doigts dans ma chevelure pour y mettre un peu d’ordre. Il y avait peu de chances que je me rendorme, à présent. Comment aurais-je pu retrouver le sommeil alors que les accusations lancées contre moi par Antas avaient recommencé à se faire entendre sous mon crâne ?

Iften allait témoigner pour leur donner du poids. Joden également, j’en avais peur. Comment Keir pouvait-il croire que je serais confirmée dans mon statut de Captive avec une telle opposition ? Surtout si le puissant et intraitable Antas menait la fronde. Nos vérités seraient-elles suffisantes pour nous gagner la faveur du Conseil ?

Toutes les tensions et toutes les craintes des jours passés déferlaient en moi. Que faisais-je là, sous cette tente, perdue au milieu de Firelandais dont la plupart m’étaient hostiles et ne voulaient pas de moi ? En qui pouvais-je avoir réellement confiance ? Et qu’allait-il arriver dans les jours à venir ?

À force d’y réfléchir, je finis par en avoir la migraine. Je me massai les tempes, tout en retenant désespérément mes larmes. Le poids de mes pensées, ajouté à celui de la solitude et des ténèbres qui m’entouraient, pesait lourdement sur moi.

Sachant qu’Amyu avait laissé un pot de kavage sur le brasero, je me levai en frissonnant dans la fraîcheur du petit matin pour aller m’en servir un bol. Après l’avoir avalé, je pris une des baguettes d’allume-feu qui traînaient là et l’enflammai au brasero. Prudemment, j’allai rallumer ma lampe. Après avoir hésité un instant, la flamme claire et vive parut bondir à l’intérieur, comme si elle était heureuse de s’y réfugier.

Je me débarrassai de l’allume-feu dans le brasero et allai me replonger avec délices dans la tiédeur de mon lit. Couchée sur le côté, un coussin coincé sous la joue, je me perdis dans la contemplation de la flamme, qui projetait sur les parois de toile de ma chambre ses lueurs dansantes.

Puis, fermant les yeux, je laissai mes pensées suivre leur pente naturelle et me ramener à Keir… Je le revis tel que je l’avais découvert, sur le terrain d’entraînement, lorsque j’avais pour la première fois compris qu’il avait fait de moi sa Captive pour m’honorer et non pour m’avilir. Je revécus ce pique-nique, près de l’étang dans lequel nous nous étions baignés et au bord duquel nous avions fait l’amour sous les aulnes.

Ces souvenirs, et d’autres encore, qui tous me reliaient à lui, finirent par adoucir ma peine et m’apaiser. Je rouvris les yeux au moment où la flamme, au cœur de la lampe, vacillait sous un souffle de vent en crépitant légèrement. En souriant, je pressai ma joue contre la douceur satinée du coussin. Dans la chaleur du lit, tout mon corps se détendit.

Mes doutes refluaient. C’était moi qui avais décidé de venir ici. Je n’allais pas laisser la peur me dominer et gâcher tous mes espoirs – tous nos espoirs.

En me remettant sur le dos, je laissai ma main caresser mon ventre toujours aussi plat. Mes règles n’étaient pas revenues. Je n’avais toujours aucune certitude, mais peut-être portais-je déjà notre bébé. Un autre souvenir affleura à ma mémoire et me fit sourire. Celui de Keir, convalescent, agitant une grappe de grelots d’intimité pour amuser Meara, à la plus grande joie de celle-ci.

Notre enfant hériterait à ma mort du trône de Xy, sur lequel il lui faudrait monter. J’avais dû faire cette promesse au Conseil royal avant de partir. Je me rembrunis à cette perspective. Les Firelandais accepteraient-ils cet arrangement ? Le comprendraient-ils ? Ou insisteraient-ils pour que notre enfant soit élevé selon la coutume de la Grande Prairie et devienne un pur guerrier des Tribus ?

J’avais pu constater à maintes reprises combien les Firelandais chérissaient les enfants, sans pour autant les élever comme le faisaient les Xyians. Le plus robuste et le plus farouche guerrier se laissait attendrir par un bébé et n’hésitait pas à jouer longuement avec lui.

Un bâillement vint interrompre mes pensées. Avant de glisser de nouveau dans le sommeil, j’eus le temps de me demander à quoi ressemblerait notre enfant. Aurait-il mes cheveux ? Les yeux de Keir ? Puis mes paupières lourdes se refermèrent d’elles-mêmes.

Je prenais mon petit déjeuner de bon appétit quand Amyu vint m’annoncer qu’Essa demandait à être reçu.

J’eus à peine le temps d’avaler ma bouchée et de me lever qu’il entrait déjà. Essa était un homme grand et large d’épaules. Ses vêtements déclinaient ce matin différentes teintes de vert, sur lesquelles son armure brune de cuir durci était du plus bel effet. Il portait une épée au côté et deux dagues à son ceinturon, mais ce qui m’impressionna le plus, ce fut le tatouage qu’il portait au-dessus de l’œil droit – une aile d’oiseau.

— Je vous souhaite le bonjour, Vénérable Barde Essa.

D’un geste de la main, je lui indiquai un siège de l’autre côté de ma petite table et ajoutai :

— Puis-je vous offrir un peu de kavage ? Quelque chose à manger ?

Ma taquinerie ne dut pas lui échapper, car il haussa les sourcils et me dévisagea un instant avant de s’asseoir.

— Je vous remercie, dit-il néanmoins avec un sérieux inébranlable. Je prendrai volontiers un peu de kavage.

Amyu nous servit tous les deux. Essa la remercia d’un hochement de tête. Il attendit en sirotant son kavage qu’elle ait terminé d’emporter les plats pour en venir au fait.

— Fille du Sang de la Maison de Xy, le Conseil se réunit aujourd’hui en senel pour entendre les vérités de ceux qui ont été convoqués devant lui. Votre présence à cette séance n’est pas souhaitée.

— Et si je veux quand même y assister ? demandai-je avec une nuance de défi dans la voix. Si je désire entendre ce qui se dit de moi ?

— Cela ne vous sera pas permis, répondit fermement Essa. Chaque guerrier sera entendu séparément.

— Qui parlera ?

Il marqua une pause, évaluant sans doute ce qu’il pouvait me dire ou non, avant de répondre :

— Simus, Atira, Yers, Iften. D’autres peut-être, si nous en avons encore le temps.

— Joden ?

Essa fronça les sourcils et plongea le nez dans son bol. J’avais la nette impression que quelque chose le tracassait et que cela n’avait rien à voir avec la procédure de confirmation de la Captive.

— Cela n’a pas encore été décidé, dit-il enfin.

— Pour quelle raison ne l’entendriez-vous pas ?

— Le problème n’est pas tant de savoir s’il nous faut entendre ou non les vérités de Joden que de déterminer le poids que nous devons leur accorder.

Ne sachant jusqu’où je pouvais pousser la curiosité, je jouai un instant avec mon bol avant de me lancer.

— Est-ce parce qu’il n’est pas encore barde des Tribus ?

Essa marqua une nouvelle pause pour boire longuement son kavage. Je le sentais hésiter, et j’étais convaincue qu’il allait en rester là et ne pas me répondre quand il le fit.

— Les vérités d’un barde pèsent d’un poids très lourd. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Iften du Cochon a demandé que le témoignage de Joden soit considéré par le Conseil comme celui d’un barde à part entière. Il soutient que cela devrait être le cas parce que aucun barde des Tribus n’était présent pour rapporter ce qui s’est passé.

Essa secoua la tête d’un air attristé et poursuivit :

— Mais Joden de l’Aigle a transgressé nos traditions, et le débat est vif pour savoir s’il faut ou non l’entendre.

C’était mon tour à présent de siroter mon kavage pour gagner du temps. Je ne savais quelle position adopter. Joden était un ami, mais il n’avait pas fait mystère de son intention de témoigner contre Keir devant le Conseil.

— Quel est votre point de vue sur la question ? demandai-je enfin.

Essa laissa échapper un rire caustique.

— Vous savez que les bardes gardent au fond de leur cœur les paroles qui leur sont offertes en confidence ?

J’acquiesçai d’un signe de tête et il ajouta :

— Il en va de même de leurs avis et de leurs pensées.

Je me sentis rougir sous la rudesse de la réprimande et m’empressai de changer de sujet.

— Si je ne suis pas autorisée à écouter les vérités qui me concernent, puis-je au moins visiter la ville ? Je n’ai jamais rien vu qui ressemble à la Grande Prairie et au Cœur des Plaines.

Son visage demeura impassible, mais j’eus la nette impression que ma requête lui avait plu.

— Naturellement. Vous pouvez sortir et aller où bon vous semble, mais vos gardes du corps vous suivront. Ils ont reçu des instructions très strictes quant aux personnes avec qui il vous est permis d’être en contact ou non.

— Je respecterai vos usages, assurai-je. Mais me sera-t-il possible de rencontrer Heath ?

Le visage d’Essa trahit sa perplexité.

— De quelle Tribu ? s’enquit-il. Je ne connais personne de ce nom.

— De la Tribu de Xy, précisai-je en souriant. C’est un de mes compatriotes qui est arrivé ici en compagnie de Simus de l’Aigle.

— Je n’y vois aucune objection, déclara-t-il en scrutant attentivement mon visage. Si nous souhaitons vous séparer de Keir du Tigre, c’est pour…

Je l’interrompis aussitôt et terminai pour lui :

— … pour me permettre de me déterminer sans subir son influence. Mais, Essa, si j’avais dû changer d’avis, je l’aurais fait dès le premier soir.

— À ce propos, enchaîna-t-il, je suis venu vous informer que le Conseil a décidé, même si vous n’avez pas encore été confirmée en tant que Captive, que les Seigneurs de Guerre pourront vous faire leur cour dès aujourd’hui. Les neiges approchent, et il n’y a pas un jour à perdre.

La gorge soudain sèche, je détournai le regard. Je savais, bien sûr, qu’il devait en être ainsi, mais j’avais préféré ne pas m’attarder sur cette pensée.

— Les Seigneurs de Guerre qui le souhaitent auront chacun une chance de vous conquérir. Ils vous feront connaître leur intention, et Amyu vous escortera jusqu’à leur tente.

Avec un sourire rassurant, il ajouta :

— C’est vous qui contrôlez le processus, Xylara. Si vous souhaitez y mettre un terme, vous n’aurez qu’à le dire et il en sera fait selon vos désirs.

Sans le regarder, je hochai la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

Du coin de l’œil, je vis qu’Essa consultait du regard Amyu, qui était revenue nous apporter un nouveau pot de kavage.

— Xylara ? demanda-t-il en reportant son attention sur moi. Tous vos besoins ont-ils été satisfaits ? Vous n’avez qu’à demander.

Je retrouvai subitement ma langue pour m’exclamer :

— Un bain ! Avec de l’eau chaude…

Il n’aurait pas paru plus surpris si j’avais déclaré avoir l’habitude de manger des braises.

— Les Xyians ont pour coutume de se baigner seuls, intervint Amyu. Sous le couvert des grelots.

— Ah, oui ?

Une grimace tordit son visage. Manifestement, il ne voyait pas l’agrément de la chose.

— Si c’est ce que vous souhaitez, dit-il néanmoins, je vais voir ce qui peut être fait.

Essa se leva et remit soigneusement en place ses armes et les plis de ses vêtements.

— Rien d’autre ? insista-t-il en s’apprêtant à partir.

Je restai un instant à le regarder, grand et élancé sur le seuil de ma tente, avec cette aile d’oiseau qui lui barrait le front. Il se prêta à cet examen sans faiblir et soutint mon regard sans ciller.

— Accepteriez-vous de chanter quelque chose pour moi ? demandai-je enfin.

Essa écarquilla les yeux. Amyu, choquée au plus haut point, étouffa un cri sous sa main.

— Désolée, dis-je avec un sourire d’excuse. J’ai entendu Joden chanter à plusieurs reprises, et il a une si belle voix ! Alors, je me demandais si vous, qui êtes barde des Tribus…

Embarrassée, je ne pus finir ma phrase.

— Vous m’honorez, assura-t-il en s’inclinant légèrement devant moi. Quels chants avez-vous entendus ?

Le souvenir des chants de deuil de Joden m’arracha un soupir.

— La plupart étaient assez tristes… Même si Joden en a chanté un autre plus joyeux, pour célébrer la chasse à l’ehat. Quelque chose à propos d’un petit déjeuner.

— Quant à moi, je vous propose un chant plus en rapport avec votre état d’esprit, suggéra Essa. D’accord ?

Sans attendre de réponse, il ferma les yeux, prit son souffle et se mit à chanter. Sa voix merveilleuse emplit aussitôt la tente. Elle n’était pas aussi profonde que celle de Joden, mais elle possédait le même pouvoir d’évocation, la même magie.

Sous le charme, osant à peine respirer, je me laissai emporter par son chant. Le premier couplet évoquait le soleil levant et deux amants allongés nus dans l’herbe tendre, leurs corps baignés par la lumière de l’aube. Alors que la dernière étoile disparaissait dans le ciel, l’amoureux la voyait apparaître dans les yeux de sa belle.

À la fin du premier couplet, Essa prit une profonde inspiration avant de passer au deuxième, qui célébrait le soleil de midi. Les amoureux chevauchaient leurs montures côte à côte. Leurs ombres dansaient sur les herbes et leurs corps caressés par la chaleur de l’astre du jour luisaient de sueur. La Grande Prairie étincelait de tous ses feux, mais l’étoile du matin brillait toujours au fond des yeux de la belle.

De nouveau, Essa reprit son souffle, et le soleil amorça sa descente derrière l’horizon. À présent, les amoureux dansaient à la lueur d’un grand feu, leurs corps n’aspirant qu’à se fondre l’un dans l’autre. Les étoiles se cachaient encore dans le manteau de velours du crépuscule, mais dans les yeux de la belle brillait toujours l’étoile du matin.

Le chant mourut sur une dernière note grave. Essa laissa ses lèvres se refermer, rouvrit les yeux et les posa sur moi.

— C’était magnifique, Vénérable Barde Essa !

Son chant m’avait touchée, mais il laissait cependant en moi comme un goût d’inachevé.

— Dites-moi… repris-je en hésitant à formuler mes doutes. Il doit y avoir un autre couplet, n’est-ce pas ?

— En effet, admit-il, la tête penchée sur le côté. Voulez-vous l’entendre ?

— Oui. S’il vous plaît.

Le chant se fit poignant. Le soleil s’était couché. La lune était haute dans un ciel d’un noir écrasant. La belle était partie pour les neiges et le guerrier n’aspirait plus qu’à la suivre. Tout son corps se languissait de ses caresses. Il n’y avait plus pour lui dans ce monde que désespoir, mais sa lame allait y remédier. Car même les étoiles ne pouvaient se comparer à la chaleur des yeux de sa bien-aimée.

Les yeux embués, je baissai la tête, assaillie par le souvenir d’Isdra et de son inconsolable chagrin d’avoir perdu Epor, son Promis. Quand les dernières notes eurent été chantées, je trouvai le courage de faire face à Essa qui me fixait, l’air grave. Sans rien ajouter, il s’inclina devant moi et sortit.

Amyu refusa d’abord de me suivre dans ma promenade, prétextant des tâches ménagères à accomplir. Sachant que mes gardes du corps ne me parleraient pas et ne répondraient pas à mes questions, j’insistai pour qu’elle m’accompagne et réussis à la convaincre.

Aujourd’hui, les prêtres guerriers de mon escorte semblaient plus âgés. Un coup d’œil au-dessus de leur œil gauche me confirma que ceux de la veille avaient été remplacés par d’autres, plus expérimentés. Sans doute l’incident provoqué par Simus n’y était-il pas pour rien, mais je me gardai de faire le moindre commentaire. Grâce aux conseils de Keekaï, je commençais à les distinguer les uns des autres et je n’en étais pas peu fière.

Je quittai ma tente en achevant d’enfiler ma cape et me figeai sur place.

— Xylara ? s’inquiéta Amyu derrière moi.

En observant le grand espace vide qui s’ouvrait devant moi, je bafouillai :

— Je… Il me semble qu’il y avait ici une large allée bordée de tentes, hier. J’en suis presque sûre. Je…

Mes quatre gardes du corps m’entourèrent.

— C’est exact, confirma Amyu en venant se placer à côté de moi. Mais la tribu du Serpent souhaitait tisser une danse ce soir pour fêter l’arrivée d’un nouveau bébé.

— Alors, elle a déménagé, conclus-je. Ça arrive souvent ?

— Naturellement, répondit-elle en me jetant un regard intrigué. Ce sont juste des tentes.

— Naturellement…

Nous nous mîmes en route, longeant le vaste espace vide avant de nous engager dans la première allée qui se présentait et qui semblait mener au lac.

— Mais si rien n’est fixe, repris-je, perplexe devant ce nouveau mystère, comment faites-vous pour vous repérer ?

— Certaines choses ne bougent pas, me répondit Amyu d’un ton patient. Les aires de stockage. Les fosses à feu. Le lac. Les troupeaux de chevaux. Nous avons un dicton : « Le Cœur des Plaines bat sans cesse. »

Occupée à observer ce qui se passait autour de moi, j’acquiesçai d’un simple hochement de tête.

La ville était noire de monde. Partout où se posait mon regard, des Firelandais vaquaient à leurs occupations, discutaient, riaient, se disputaient, devant leurs tentes, autour des tentes ou au-dedans. Certains s’employaient à les réparer, d’autres à les démonter. Devant moi, tout un groupe de tentes s’effondra d’un coup. Une escouade de guerriers entreprit en un rien de temps de les plier et de les charger sur des chevaux de bât.

— Ils déménagent ? demandai-je.

Amyu haussa les épaules.

— Peut-être, à moins qu’ils ne regagnent le territoire de leur Tribu. Les neiges arrivent, et beaucoup vont partir dans les jours qui viennent.

— Il ne reste personne ici, durant les neiges ?

— Peu de monde. Les abris d’hivernage ne sont pas nombreux, au bord du lac.

Le soleil réchauffait mon visage, mais la brise était suffisamment fraîche pour que j’apprécie ma cape tandis que nous marchions.

De nouveau, je me laissai captiver par le spectacle des gens autour de moi. Un groupe d’enfants nous dépassa en courant. Ils riaient, chahutaient, et je vis que chacun d’eux portait à la ceinture une épée et une dague en bois. Après avoir fait demi-tour, les garnements nous encerclèrent avant de disparaître bien vite entre les tentes.

Amusée par leur innocent cache-cache, j’éclatai de rire. Aussitôt après, une ombre entre deux tentes attira mon regard sur le côté. Prest se tenait là, devant moi, la masse d’armes d’Epor glissée dans le dos. Ses cheveux avaient à peine commencé à repousser sur son crâne rasé, mais c’était bien lui, sans l’ombre d’un doute.

Me sachant observée, je fis en sorte de ne pas trahir ma surprise. Quand Prest fut certain que je l’avais vu, il m’adressa un clin d’œil avant de disparaître à ma vue. Aucun de mes gardes n’avait rien remarqué. Amyu, qui marchait devant moi, ne pouvait l’avoir aperçu.

Réprimant un sourire, je lui demandai :

— Les Tribus ne se mélangent donc pas entre elles, quand elles campent ici ?

Amyu haussa les épaules, ce qui était presque un tic chez elle.

— La plupart des guerriers préfèrent ne pas trop s’éloigner des theas et des enfants de leur Tribu. Mais il n’y a pas de règles ni de limites. Chacun est libre d’installer sa tente où il veut.

Un combat éclata soudain sur notre gauche. Deux guerrières se battaient à l’arme blanche. Mes gardes du corps m’emmenèrent plus loin dans l’allée quand l’altercation se fit trop proche. Je me laissai entraîner sans protester, mais sans quitter non plus la rixe des yeux. Il me sembla voir jaillir une giclée de sang, mais nous étions trop loin à présent et je ne pouvais rien y faire.

Résignée, je m’apprêtais à regarder de nouveau devant moi quand je remarquai Ander et Yveni juste derrière nous. Ander souriait de toutes ses dents, et sa compagne arborait un petit sourire entendu. Dès qu’ils surent que je les avais repérés, ils m’adressèrent un petit signe discret et se fondirent dans la foule.

Rassurée par leur présence discrète, je me retournai, sans prendre la peine cette fois de dissimuler ma joie.

Un peu plus loin, au carrefour de deux allées très fréquentées, je vis une petite foule captivée par le spectacle qu’offraient deux guerriers penchés sur quelque chose qu’ils avaient disposé entre eux, au ras du sol.

En m’approchant, je découvris qu’ils étaient en train de jouer aux échecs.

— Je veux voir ça ! lançai-je à Amyu.

Sans attendre son autorisation, je m’approchai autant que je le pus pour observer la partie en cours. Il s’agissait bien d’un jeu d’échecs, dans sa version adaptée par les soldats de l’armée de Keir, où les ehats remplaçaient les tours et les prêtres guerriers les fous.

L’un des joueurs, qui venait de relever la tête, écarquilla les yeux quand il me vit et bondit sur ses pieds.

— Captive !

D’elle-même, la foule s’écarta pour me laisser passer.

— Guerrier, le saluai-je en m’inclinant légèrement. Comment se déroule la partie ?

L’homme eut un rire satisfait et répondit :

— Je suis en train de leur montrer toutes mes prouesses.

— Où as-tu appris à jouer ? Dans l’armée de Keir ?

Il me répondit d’un hochement de tête enthousiaste.

— Hélas ! déplora-t-il. J’ai vite été éliminé du tournoi. Keir du Tigre est décidément trop fort à ce jeu !

En l’entendant mentionner le nom de Keir, mes gardes commencèrent à s’agiter. D’un geste, je fis signe à mon interlocuteur de retourner à sa partie.

— Bonne chance, guerrier.

— Je vous remercie, Captive.

Amyu, quand je la rejoignis, avait le visage renfrogné.

— Je croyais qu’ils étaient en train de tisser un motif de danse, marmonna-t-elle.

— C’est un jeu originaire de Xy, lui expliquai-je tandis que nous reprenions notre promenade. Le jeu d’échecs. Je l’ai appris à mon Seigneur de Guerre et à quelques autres. Il est devenu très populaire dans les rangs de son armée.

Nous poursuivîmes notre déambulation dans le Cœur des Plaines. Je m’imprégnais comme une éponge de tout ce que je voyais. Tel était le quotidien du peuple de Keir… Et je savais que j’étais en train de m’attacher aux Firelandais et à leur mode de vie si différent du mien aussi vite que je m’étais attachée à mon Seigneur de Guerre.

Il fallut qu’Amyu insiste longtemps, en prétextant le repas de midi à préparer, pour que je consente à revenir à notre tente.

Sur le chemin du retour, alarmée à plusieurs reprises par un mouvement furtif entre deux tentes, je finis avec un coup au cœur par le repérer.

Marcus était là, couvert de la tête aux pieds, comme de coutume quand il se trouvait à l’extérieur. Je faillis le trahir en lâchant un cri de surprise mais me retins à temps.

J’avais le cœur serré pour lui. Jamais autant qu’ici, dans toute cette agitation, au milieu de cette foule, je n’avais mesuré le calvaire qu’il devait endurer. Jour après jour, il lui fallait se faufiler comme une ombre au milieu des vivants, pour ne pas offenser le regard de ceux qui l’estimaient maudit par les Éléments.

Tous mes amis étaient ici. Tous ceux que j’avais appris à aimer et qui m’avaient protégée lors de mon périple depuis la lointaine capitale du royaume de Xy.

Ce qui signifiait que Keir ne devait pas se trouver loin lui non plus…

Ragaillardie, je pris une ample inspiration et repartis vers ma tente avec une énergie nouvelle. Nous y étions presque arrivés quand un guerrier accourut vers nous, affolé.

— Captive ! Captive !

Mes gardes du corps réagirent aussitôt, brandissant leurs armes pour l’empêcher de m’approcher. L’homme pila net, à quelques centimètres de leurs épées. Je reconnus alors Tant, l’un des guerriers de l’armée de Keir.

— Captive ! reprit-il, luttant pour reprendre son souffle. Un malade… Vous devez venir.

— Hors de question ! lança sèchement l’un des prêtres guerriers.

Tant ne lui accorda pas un regard et précisa à ma seule intention :

— Captive… J’ai peur que ce soit la suante.

L'élue
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